L'endroit était étroit et plongé dans le noir. Seul un silence intense et inquiétant y régnait depuis un an. Oui, cela faisait une année complète maintenant que ce lieu exigu était coupé du reste du monde. Rien n'y était entré depuis et rien n'en était sorti. Un confinement parfait, sans la moindre faille. Les parois et le contenant avaient été choisis de manière à ce que le contenu reste intact le plus longtemps possible. Que son sommeil paisible ne soit jamais troublé par quoi que ce soit.
Les bords intérieurs étaient tous recouverts d'un velours rouge, le plus doux qu'il existe. Peu importait le prix, le meilleur avait été choisi. Au milieu de ce tissu coûteux, reposait un ange. Il paraissait plongé dans un profond sommeil. On aurait presque cru que d'un instant à l'autre il allait ouvrir les yeux et se mettre à bouger. Comme s'il attendait le baiser du prince charmant.
Malgré le temps qui avait passé, sa beauté n'avait pas été altérée. Dans son beau costume trois pièces, il était toujours le même. Seule manquait en lui cette petite étincelle de vie.
Tout à coup, ce silence presque religieux fut brisé. Une respiration profonde. Deux beaux yeux bleus qui s'ouvrirent et fixèrent le noir qui les entouraient.
Il mit quelques secondes à se rappeler ce qui venait de se passer et encore quelques autres pour comprendre où il se trouvait. Il tendit la main et comprit rapidement dans quel endroit confiné il était enfermé : son cercueil. Et la panique s'empara alors de lui.
Mais bien vite, il réalisa que cela ne l'amènerait à rien de s'angoisser ainsi. Au contraire, cela le ferait rejoindre encore plus vite l'endroit d'où il venait. Et il n'avait absolument aucune envie d'y retourner. Il prit une profonde inspiration et tenta de se calmer, de trouver une solution. Il était allongé sous terre, enfermé dans un cercueil avec de l'oxygène en quantité limitée. Vraiment pas de quoi paniquer.
Il donna un coup de poing contre la paroi au-dessus de lui mais elle ne bougea pas d'un millimètre. Il frappa encore et encore, en vain. Il tenta également les coups de pieds mais rien n'y fit. Il était bloqué et limité dans ses gestes.
Il prit à nouveau une profonde inspiration, savourant l'air passant dans sa gorge et se concentrant pour éviter la paniquer qui repointait le bout de son nez. Il devait bien y avoir un moyen de sortir de là. Il n'était pas revenu à la vie pour mourir à nouveau quelques minutes plus tard.
Il laissa ses mains descendre le long de son corps, à la recherche du moindre objet pouvant l'aider. Et soudain il sentit sous ses mains un objet métallique. Il laissa ses doigts le parcourir doucement et il le reconnut. L'objet parfait dans de telles circonstances.
-----------------------------
Henri aimait se balader sur son lieu de travail. Cela semblait étrange aux yeux de beaucoup de monde, mais lui, il appréciait vraiment de naviguer entre les différentes allées de son cimetière. Il vérifiait que tous ses pensionnaires allaient bien, remettait en place quelques pots de fleurs tombés à cause du vent et saluait les rares visiteurs.
Il était gardien de cet endroit depuis bientôt vingt ans et ne voudrait changer de travail pour rien au monde. Son père lui-même avait déjà été à ce poste et cela avait semblé naturel à Henri de prendre sa succession à sa mort .
Il regarda sa montre et s'aperçut qu'il était bientôt 18 heures, il était temps de fermer les portes et de laisser les pensionnaires tranquilles. Malgré ce que l'on pourrait croire, il avait beaucoup de travail et chaque journée était bien remplie pour Henri.
Tous les matins, il venait ouvrir les portes, qu'il fermait tous les soirs après un dernier tour dans les allées. Il devait également être disponible pour les visiteurs et était responsable de l'entretien des tombes et des espaces verts. Par exemple, ces branches de marronniers qui commençaient à se faire trop grandes et bien c'était à lui de les couper. Tout comme ce buisson qui avait grand besoin d'être taillé.
Perdu dans ses pensées de jardinage, Henri parcourut d'un pas distrait les allées du cimetière. Il préférait vérifier avant de fermer que tout était en ordre et qu'un visiteur ne s'attardait pas un peu trop longtemps auprès d'un être cher.
Il passa près d'une tombe fleurie et eut un sourire triste en regardant les dates sur la pierre. Mourir si jeune, quelle tristesse. A peine plus qu'un quart de siècle. Soupirant sur l'injustice de la vie, il commença à s'éloigner quand tout à coup, il entendit comme un bruit sourd.
Il se retourna, guettant le moindre mouvement. Sûrement encore ces sales petits jeunes qui venaient jouer au football entre les tombes dès la fin de l'école. Ces garnements ne respectaient vraiment plus rien. A tous les coups, ils étaient encore là pour lui faire une farce. Mais cette fois-ci, il ne se laisserait pas faire.
Le bruit retentit à nouveau et Henri fronça les sourcils. Il ne voyait personne autour de lui et il était pratiquement impossible de se cacher dans cette partie du cimetière. Il était donc seul ici. D'où pouvait alors provenir ce bruit?
Il tendit l'oreille et attendit que cela recommence. Quelques secondes et il l'entendit à nouveau. Il écarquilla les yeux de surprise en comprenant l'origine de ce son. Mais c'était absolument impossible... Il s'approcha et attendit encore, préférant être sûr avant d'agir. Lorsque le bruit résonna pour la quatrième fois, il se rua vers son office. Il n'y avait pas de temps à perdre.
Il revint quelques instants plus tard, avec les outils nécessaires. Une pioche et une pelle. Aussitôt il se mit à creuser, y allant de toutes ses forces. Lorsque le son retentit à nouveau, mais cette fois plus proche de lui, Henri cria de joie. Il ne s'était pas trompé.
" Tenez bon, j'arrive!"
Et il redoubla d'effort pour creuser encore et encore.
-------------------------------------------------------------
Il venait d'utiliser la dernière munition Quelle idée de créer une arme avec seulement cinq possibilités de tir ! Son dernier espoir venait de s'envoler. Il avait pensé qu'utiliser ce revolver alien capable de tout traverser serait une bonne idée et lui permettrait de percer les parois. Mais il avait oublié où il se trouvait exactement et il s'en rendait compte à présent que la terre emplissait les lieux. Heureusement il avait tiré au dessus de la partie inférieure de son corps, son visage restait donc encore à l'air libre.
En parlant d'air, il sentait bien que l'oxygène commençait à se faire rare. Chaque inspiration lui semblait à présent trop courte. Combien de temps pouvait-il lui rester? Une minute? Peut-être deux...
Cette fois-ci la panique s'empara totalement de lui et il ne fit rien pour la combattre. Après tout, il n'avait plus beaucoup d'espoir. Il laissa ses mains toucher un endroit où il avait tiré et tenta d'augmenter le trou qu'il avait créé. Il arracha frénétiquement les parois, et creusa à mains nues. La terre s'enfonçait sous ses ongles et il commençait déjà à sentir le bout de ses doigts qui le brulait. Mais il continua, il n'avait plus que ça à faire. Sa dernière chance.
Il avançait millimètre par millimètre et ses bras tout entiers le faisaient atrocement souffrir à présent. Il cria, hurla, mais seul le silence oppressant lui répondit. Ses yeux le piquaient et sa gorge commençait à devenir toute rêche. Mais il continuait de creuser.
Il ne savait pas depuis combien de temps il faisait ça, mais il refusait de fermer les yeux et de se laisser aller aux ténèbres qui l'envahissaient peu à peu. La tête lui tournait et il avait des difficultés à rester éveillé. Mais il tenait bon, il ne voulait surtout pas abandonner maintenant. Il lutterait jusqu'au bout. Jusqu'à son dernier souffle.
Tout à coup, il entendit un bruit juste au-dessus de lui et encore plus de terre s'écroula sur ses jambes. Il écarquilla les yeux de surprise et cria à l'aide aussi fort qu'il le pouvait. Il y avait une infime chance que quelqu'un soit en train d'essayer de le sauver et il ne pouvait pas laisser passer ça. Il cria encore et encore, ignorant la douleur qu'il ressentait à présent dans la gorge.
-----------------------------------------
Henri s'arrêta en plein geste et immobilisa sa pioche. Il n'avait pas rêvé, il venait bien d'entendre des cris non ? Il piocha alors avec précaution et sursauta lorsque l'embout toucha une surface dure, qui n'était certainement pas un caillou. Il jeta son outil à terre et s'agenouilla pour continuer à la main. Il n'était plus très loin et il ne pouvait pas prendre le risque de blesser quelqu'un.
"Enfin... En espérant qu'il s'agisse bien de quelqu'un" songea-t-il en retirant frénétiquement la terre qui recouvrait le cercueil.
Le gardien pouvait à présent sentir sous ses doigts le bois et il cria d'excitation:
"Tenez bon ! J'arrive !!"
--------------------
En entendant une voix à travers les parois, il retrouva l'espoir et lutta pour rester encore quelques instants conscient. Quelqu'un était venu le sauver, il n'avait pas le droit d'abandonner maintenant. C'était peut-être même lui qui était venu à sa rescousse. L'image de ce sauveur tant attendu lui tendant la main pour le sortir de cet enfer apparut dans son esprit et lui donna la force nécessaire de continuer.
"Je suis là ! Je suis là !"
Malgré le froid qui l'entourait et l'obscurité qui commençait à l'envahir, il continua d'essayer de creuser. S'arrêter équivalait à se laisser mourir à ses yeux. Et il n'était pas du genre à perdre face à la mort. Du moins pas une deuxième fois.
Peu à peu ses gestes devenaient de plus en plus lents. Ses bras lui paraissaient trop lourds, presque impossible à soulever. Il les laissa retomber contre lui et cessa de bouger. Il n'en pouvait plus. Il ne sentait même plus ses mains. Tout son corps lui semblait envahi de fourmillements et de vertiges. Il n'avait plus la force de lutter et lorsqu'il laissa ses paupières se fermer, la dernière image qu'il aperçut fut celle d'un rayon de lumière filtrant à travers les trous faits dans les parois du cercueil.
"Enfin..."
Et sur cette dernière pensée, il perdit connaissance.
------------------------------
Une fine pluie commençait à tomber doucement sur le cimetière et rendait la tache du gardien encore plus difficile. Ses doigts avaient tendance à glisser et la terre autour de lui devenait boueuse. Mais Henri n'y prêtait pas attention. Tout son être était tourné vers sa mission et rien ne pourrait l'arrêter avant qu'il n'en ait fini avec cette histoire.
Il avait bien avancé et se sentait fier de lui. Il avait réussi à déblayer une grande partie de la plaque supérieure du cercueil. Il ne restait plus qu'à l'ouvrir. Plus facile à dire qu'à faire...
Mais à la vue des trous qu'il venait de découvrir dans le bois des parois, cela allait être une tache plus aisée que prévu.
"Les bruits qui m'ont attiré ici viennent surement de là. Mais je me demande bien comment ils ont été faits. C'est pourtant du bois solide. Incassable qu'ils disaient !"
Mais ce n'était pas le moment de se poser des questions. Il y avait une personne qui comptait sur son assistance. En bon gardien de cimetière, Henri ne se déplaçait jamais sans une lampe torche attachée à sa ceinture. Il s'en saisit et éclaira l'intérieur du cercueil, tout en essayant de discerner ce qu'il contenait.
Il faillit lâcher sa lampe de surprise lorsqu'il aperçut des jambes et surtout une main humaine. Évidemment il s'était attendu à une telle découverte mais le voir de ses propres yeux lui causait quand même un choc. Un corps humain en bon état qui plus est. Il leva les yeux vers la pierre tombale et regarda la date de décès.
"Un an. C'est impossible que les vers ne l'aient pas encore bouffé."
Décidé à avoir le fin mot de cette étrange histoire et surtout à porter secours à cette personne, Henri arracha ce qui restait des parois et dégagea ainsi totalement l'accès au contenu du cercueil. Au fur et à mesure qu'il retirait des grandes morceaux de plaque, il voyait apparaitre un corps allongé, vêtu d'un beau costume.
"Tenez bon, j'y suis presque ! "
Quelques instants plus tard, Henri retira enfin ce qui restait du couvercle et il poussa un cri de surprise en regardant le corps du jeune homme qui y reposait. Il semblait inanimé et le gardien se demanda l'espace d'une seconde s'il n'avait pas rêvé les bruits et appels à l'aide.
Mais au point où il en était et vu le très bon état de conservation du corps il préférait vérifier. Avec grande difficulté, il le sortit du cercueil et l'allongea sur l'herbe humide.
Henri commençait à s'inquiéter et craignait d'être arrivé trop tard. Le jeune homme ne bougeait pas du tout. Il appuya sa tête contre son torse et perçut un léger battement de cœur. Le gardien soupira de soulagement, l'inconnu était seulement inconscient. Il pouvait donc encore être sauvé.
Il s'appliqua à lui prodiguer les premiers secours. En vain. En désespoir de cause, Henri s'autorisa un geste qui ne faisait pas partie de ses habitudes. Il secoua d'abord gentiment puis plus brutalement le corps inanimé, allant jusqu'à lui donner des petites claques sur le visage.
"Réveillez-vous, s'il vous plait ! "
Tout à coup, l'inconnu fut secoué de tremblements et avec une grande inspiration, il reprit connaissance. Totalement paniqué et ne comprenant pas trop ce qui lui arrivait, il fixa de ses beaux yeux bleus Henri, qui de son coté n'en revenait pas. Il n'aurait jamais cru qu'une telle situation lui arriverait un jour.
"Vous allez bien, Monsieur ? "
L'inconnu resta silencieux et commença à se débattre, à repousser le gardien penché sur lui. Ne souhaitant pas prendre de mauvais coups, Henri s'écarta. L'homme qu'il venait de sauver avait une attitude bien étrange et son regard un peu fou commençait à lui faire peur. Il valait mieux ne pas rester seul avec lui.
"Je vais aller appeler les secours, d'accord ? Ils vont vérifier que vous n'avez rien. Venez avec moi jusqu'à ma loge, je vous servirai un bon café en attendant."
Henri tendit la main à l'inconnu, voulant l'aider à se relever. Mais celui-ci le repoussa et recula. Il semblait réellement effrayé et le pauvre gardien n'avait aucune idée de ce qu'il devait faire. Souhaitant éviter de l'effrayer encore, il préféra opter pour la solution de facilité:
"Je vais aller téléphoner seul et je reviens de suite, d'accord ? Ne bougez pas, je n'en ai pas pour longtemps."
L'homme acquiesça doucement et Henri soupira de soulagement. Enfin une réaction positive. Cela le rassurait un peu sur l'état mental de cet inconnu. Pressé d'en finir avec cette histoire, il se dirigea d'un pas rapide vers sa loge.
------------------------------------------
Il avait froid et sentait que la fine pluie qui tombait le glaçait. L'homme qui l'avait sorti de cet enfer lui avait proposé de l'aide mais son contact lui avait donné la nausée. Avoir quelqu'un aussi proche de lui l'avait fait se sentir oppressé et il avait paniqué.
Il regarda le gardien partir et se recroquevilla dans un coin. Il savait ce qu'il était parti faire, appeler d'autres personnes. Mais il ne voulait surtout pas qu'on vienne le voir, le questionner et pire, le toucher. Il ne désirait voir personne et encore moins des inconnus.
Tout son être ne souhaitait qu'une seule personne à ses cotés. Il devait partir à sa recherche, lui dire que tout allait bien. Il se releva doucement, tremblant encore légèrement sur ses jambes. Il tituba quelque peu avant de finalement réussir à marcher doucement.
Il n'avait pas de temps à perdre, l'autre homme allait bientôt revenir. D'un geste machinal il épousseta son costume et se retourna.
Devant lui se tenait la preuve de l'incroyable miracle qui venait de lui arriver. Dans l'herbe, au milieu d'outils abandonnés et de morceaux de bois arrachés, il pouvait apercevoir le trou qui menait à son cercueil. Il ne comprenait pas encore ce qui s'était passé mais il ne doutait pas que lui, il aurait les réponses.
Tremblant, il leva doucement les yeux vers ce qu'il redoutait le plus. Il ne voulait pas le voir, mais pourtant il sentait qu'au fond de lui, il en avait besoin. Il voulait être certain de ce qui lui était arrivé. Ses yeux se levèrent doucement, centimètres par centimètres pour finalement atteindre leur but. Il frissonna en lisant les inscriptions de la pierre qui se tenait dressée là :
Fuyant cette atroce vérité, il partit en courant, aussi vite que son corps faible le lui permettait. Il n'avait aucune idée d'où il allait mais il savait juste qu'il voulait s'éloigner d'ici au plus vite.